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Vague de chaleur

Peut-on prévoir les canicules grâce à l'intelligence artificielle ?

Pierre-Edouard Chaix

Pierre-Edouard Chaix · 13 juillet 2022

Alors qu’un nouvel épisode caniculaire exceptionnel a touché la France métropolitaine en juin 2022, avec de nombreux records mensuels battus, ainsi que plusieurs records absolus (c’est à dire des stations qui n’avaient jamais enregistré de températures aussi élevées) dans le sud-ouest, l'enjeu d'une prévision correcte de ces phénomènes apparaît crucial : tout d’abord, il est maintenant acquis que la fréquence des ces épisodes va augmenter au cours des prochaines années, avec toutes les conséquences que l’on connaît, notamment en matière de santé publique ; par ailleurs, des épisodes caniculaires plus fréquents vont également entraîner une augmentation des épisodes de feux de forêt.

On peut donc se demander si ces épisodes sont bien appréhendés par les modèles météorologiques utilisés classiquement pour la prévision. L'intelligence artificielle pourrait-elle aussi aider à mieux anticiper ces épisodes de températures extrêmes ?

L’influence d’une goutte froide positionnée sur le proche Atlantique

Dans le cas de l’épisode caniculaire ayant touché la France entre le 15 et le 22 juin 2022, la présence d’une goutte froide a exercé une influence considérable en pilotant une remontée d’air chaud en provenance d’Afrique du nord sur le territoire. Le terme de goutte froide désigne une poche d’air froid en altitude “coincée” au milieu d’air plus chaud. Normalement, les masses d’air froid et d’air chaud, qui de façon schématique sont positionnées respectivement aux hautes latitudes et dans les zones tropicales, possèdent une unique zone de délimitation qui peut, selon la région du globe, être positionnée plus moins haut en latitude.

Dans le cas d’une goutte froide, une bulle d’air froid en altitude vient se détacher de la zone froide des hautes latitudes puis devient isolée au sein de l’air chaud tropical. L’évolution de cette goutte froide peut soit aller dans le sens d’une dissipation (et donc de la disparition de cette zone d’anomalie), soit une jonction avec la zone d’air froid dont elle s’était échappée. Entre-temps, selon la situation environnante, la goutte froide peut rester relativement immobile ou bien s’être déplacée.

Chaleur sur la ville

Modélisation de l’épisode

D’une façon générale, le positionnement des gouttes froides fait partie des phénomènes les plus difficiles à appréhender par les modèles météorologiques. Dans le cas de l’épisode de juin 2022, les modèles de prévisions ont prévu assez tôt le détachement et l’isolement d’une goutte froide sur le proche Atlantique (dès le 7 ou 8 juin) étant suffisamment “bien” placée pour envoyer une remontée d’air très chaud, au moins sur une grande moitié sud de la France, aux alentours du 15 ~ 18 juin. En revanche, les modèles ont été beaucoup plus hésitants sur l’évolution de cette goutte froide après la mise en place de cette remontée chaude, le scénario modélisé majoritairement étant celui d’une reprise de la goutte froide par la circulation générale, et donc une évacuation de la chaleur dès le dimanche 18 juin.

En réalité, la goutte froide a été réalimentée et est restée relativement immobile jusqu’au 21/22 juin, si bien que l’air chaud a pu stationner sur la moitié est de la France, et que l’épisode caniculaire n’a pris fin qu’à ce moment-là sur ces régions.

En conclusion, si les modèles météorologiques ont bien appréhendé le début de l’épisode, ils n’ont pas bien appréhendé son évolution et sa fin.

Couvreurs travaillant sur un toit

L’intelligence artificielle, une aide à la modélisation ?

Dans ce contexte où la modélisation physique montre parfois ses limites, des algorithmes d’intelligence artificielle peuvent apporter une aide afin d’améliorer la prévision de ces épisodes extrêmes. Ainsi, plusieurs équipes de recherche se penchent actuellement sur l’application d’algorithmes hyper-spécialisés à la prévision de vagues de chaleur à divers horizons temporels.

Dans la quasi-totalité des cas, les études consacrées au sujet emploient des réseaux de neurones convolutifs. Cette famille de modèles d’intelligence artificielle, particulièrement populaire depuis une dizaine d’années dans le domaine de la vision par ordinateur (en anglais, computer vision), sont utilisés pour réaliser diverses tâches sur des ensembles d’images : classification, segmentation, augmentation de la résolution, etc. Inspirés par les procédés biologiques à l'œuvre dans le cortex visuel de certains animaux, ils sont capables d’analyser en profondeur des images et de trouver les relations profondes et complexes entre les pixels composant l’image, et la sortie qui est attendue d’eux. La multiplication des couches de convolution permet, à partir des images utilisées, d’en “extraire” des représentations à plus ou moins grande échelle, parfois abstraites, qui contiennent assez d’information pour remplir la tâche attendue.

Les données météorologiques étant le plus souvent des valeurs numériques présentées sur une grille régulière, et donc analogues à des images, il est naturel que ces méthodes soient particulièrement adaptées à la réalisation de tâches prédictives spécifiques dans le domaine de la météorologie.

Les récents travaux spécifiques au problème d’anticipation des canicules à l’aide d’algorithmes d’intelligence artificielle se classent naturellement en plusieurs catégories. En ce qui concerne l’horizon temporel de prédiction, certains travaux sont spécialisés sur des prévisions à moyen terme (c’est à dire jusqu’à environ 10 jours), quand d’autres sont spécialisés sur des prévisions à plus long terme, parfois jusqu’à un mois : bien que les niveaux de performance ne soient pas les mêmes, il est également pertinent de tenter de fiabiliser les probabilités d’apparition d’événements extrêmes à long terme.

D’autres travaux vont même plus loin : sachant que la persistance d’un épisode caniculaire peut aggraver de façon substantielle l’impact de la chaleur sur les organismes, certaines études se concentrent sur une fiabilisation de la prévision des canicules à durée extrême. Ces épisodes sont de plus en plus fréquemment observés (comme en 2003 en Europe occidentale, ou en 2021 en Amérique du nord), et il est attendu que leur fréquence augmente encore avec le réchauffement climatique.

Même si la comparaison n’est pas toujours aisée, les équipes de recherche arrivent dans la plupart des cas à montrer que des modèles d’intelligence artificielle peuvent être entraînés afin d’obtenir de meilleures performances que les procédés et modèles traditionnels. Certains écueils, parfois classiques lorsque de telles techniques sont utilisées, restent à surmonter. Ce champ de recherche étant encore en démarrage, il est probable que, dans les prochaines années, l’apport de l’intelligence artificielle à la prévision météorologique permette d’affiner et de fiabiliser les systèmes d’alertes canicule, tant en ce qui concerne leur apparition qu’une durée anormalement longue.

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